La littérature érotique homosexuelle connait une expansion considérable ces derniers temps. Entre l’explosion des mangas yaoi, des fanfictions homoromantiques, des fanzines et des maisons d’éditions LGBTQ+ qui reprennent le contrôle de leur narration, il n’est pas évident de choisir ses lectures– ni de se forger une réputation lorsque l’on est auteur. Pour s’y retrouver, je vais convoquer mes connaissances universitaires de littéraire–trop peu sollicitées lorsque l’on enseigne à des collégiens obsédés par Fortnite– pour vous concocter un petit récapitulatif des différences entre le Roman MM et le Roman BL.
1) La couverture:

Rien de plus simple. Apercevez-vous ce torse huilé de mec photoshopé que laisse apparaître une chemise entrouverte avec en arrière-plan une prairie-une maison-un ranch-un building (rayez la mention inutile) ? Vous êtes sans erreur possible face à un roman MM.
La couverture arbore-t-elle une illustration faite à la main ? Vous tenez entre vos petits doigts potelés un roman BL.

2) Le nombre de pages:
Votre livre est-il un chaudron de débauche de plus d’un demi-kilo ? Contient-il plus de deux cents cinquante pages de plaisir coupable ? C’est un roman MM.
Votre livre a la souplesse d’un éventail ? Ne contient-il seulement qu’une gorgée d’élixir de mâles en rut de moins de deux cents cinquante pages ? C’est un roman BL.
3) Réalisme et représentations mentales:

La différence fondamentale entre un.electeur.trice (je m’essaie à l’écriture inclusive mais j’ai foi en votre bienveillance pour croire que mon utilisation du mot « lecteur » inclut les femmes comme celui du mot « lectrice » inclut les hommes, ne soyons pas binaires !) de roman MM et son homologue dévoreur de roman BL est la question de la représentation mentale des personnages. Dans le premier cas, le lecteur imagine mentalement des individus réels de chair et de sang. Dans le second, il ou elle se représente des figures de papier.

Se pose alors la question du réalisme de ces récits (vaste interrogation littéraire passionnante, s’il en est, mais que je me bornerai à ne pas évoquer sous peine de vous perdre, vous lectrice.teur et moi également à la bibliothèque municipale afin de rassembler un corpus exhaustif de sources reconnues).
On se contentera de définir le réalisme littéraire comme la volonté de représenter scrupuleusement le réel en tentant de l’imiter (la mimesis comme on dit dans le milieu). Imitation que l’on crée grâce à des « effets de réels » (#RolandBarthes) qui ne sont que des éléments de décor qui ont pour unique fonction d’ancrer la description dans le monde réel.
Toujours là ? Bien. Tout ça pour dire que le roman MM penche vers le réalisme tandis que le roman BL n’en a rien à taper, à tous les niveaux.
4) Le style :
Là, je me chauffe et je vais un peu me la raconter… Dans l’antiquité, on identifiait deux façons d’écrire, deux styles. D’un côté, le style grec, fleuri et imagé (métaphores, comparaisons, allégories, oxymores et autres figures de styles), dit « style oriental » ou « asianisme ». De l’autre, le style romain, aride, sans fioriture (et marseillais dans sa façon d’aller droit au but), dit « style atticiste ».
Le style oriental correspondrait surtout à Ilhem H, jeune auteure accro aux images littéraires qui font mal à la tête mais qui se soigne aux auteur.es de romans MM. Le roman BL, héritier de la Light Novel japonaise est plutôt dans l’atticisme.
5) La ligne éditoriale:

Toutes les remarques précédentes convergent vers ce dernier critère. En réalité le point de divergence fondamental entre le roman MM et le roman BL est qu’ils sont tributaires de traditions éditoriales différentes. Le roman BL s’inspire indéniablement du modèle japonais : codes du yaoi et de la light novel qui contient, en sus du texte, des illustrations très explicites. Tandis que le roman MM est le rejeton homosexuel des romans à l’eau de rose type Harlequin.

Apprenons en s’amusant avec le professeur Paracétamol ! Un petit tableau récapitulatif !
Critères de reconnaissance : | Roman MM | Roman BL |
1) Couverture : | Mecs photoshopés | Illustration |
2) Nombre de pages : | Plus de 250 | Entre 150 et 250 |
3) a. Réalisme : | Plutôt réaliste | Réalisme ? Pour quoi faire ? |
3) b. Représentation mentale : | Vrais mecs en chair et en os | Bishônen de papier |
4) Style : | Asianiste | Atticiste |
5) Ligne éditoriale : | Harlequins, new romance | Manga yaoi, light novel |
On retiendra qu’au final le roman MM et le roman BL ne sont pas tout à fait pareils bien que leur but soit commun : émoustiller le lecteur avec un érotisme gay. Et qu’en conséquence leur lectorat bien que poreux, peut diverger en raison d’attentes littéraires différentes. Reste que toute œuvre un tant soit peu recherchée dépassera des cadres établis, ce qui rend ma passion pour la classification vaine mais, je l’espère, divertissante.

I.H.